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L'odeur des confitures...

Publié le 18/03/2013, dans Les chroniques de La Semaine | par La Semaine du Pays basque
L'odeur des confitures...

Il fallait entendre les amis de passage la semaine passée : « Mais quel bonheur vous avez d’habiter ici ! Mais quelle région ! Mais c’est même mieux que le Midi ! On se damnerait pour avoir le courage de tout quitter et vivre au Pays basque ! » Vous aurez remarqué que personne ici ne dément une telle affirmation et que l’on prend ces compliments – qui pourtant ne nous sont pas directement adressés… – avec la modestie des grands génies qui ont raison en tout. Moi, j’avais bien envie de répondre : « Vous auriez été là la semaine dernière, entre la pluie et le froid, vous ne seriez pas aussi euphoriques ! » Mais bon, je n’ai rien dit, pensant que les agents immobiliers de la région devaient se frotter les mains en espérant vendre quelques résidences secondaires à des vacanciers de passage, trop heureux d’avoir découvert les Seychelles françaises… Comme je racontais cela à un vieux Biarrot en prenant mon café aux Colonnes l’autre matin, il a bougonné en rentrant sa tête dans son épaule droite : « Bé, quand ils auront eu un mois de flotte dans la gueule en juillet, ils arrêteront de raconter des conneries ! » Cela est effectivement assez bien dit… Donc, une si belle semaine de beau temps ne pouvait que m’inciter à retrouver les plaisirs du jardin, où la métamorphose du paysage semble aller plus vite que la plus moderne des LGV ! Il faut couper, nettoyer, gratter, tailler et se poser la grande question de la tonte de la pelouse ! Car les tondeurs de pelouse savent de quoi je parle… En résumé, il faut laisser à la pelouse le temps d’un repos hivernal et ne pas tondre. D’ailleurs, avec ce qu’il a plu les semaines passées, on avait plus l’impression de contempler, affligé, un terrain de rugby après un match dévastateur que de se réjouir de la vue d’un très british gazon digne des golfs de notre région. De la boue partout au plus grand ravissement de mes chiens qui, à défaut d’une cure à Dax, se l’offrent dans le jardin, puis se sèchent sur mes tapis. Mais au moment de la première grande période de beau temps, voilà que cette pelouse honteuse mérite une tonte. J’ai donc demandé l’avis – je ne devrais jamais le faire… – de quelques amis jardiniers de passage : « Tu peux tondre dès maintenant, ça ne fera pas de mal ! » Je l’ai donc fait, en bon petit soldat. Seulement, voilà… dès que l’on commence à couper sa pelouse une première fois, ça pousse dix fois plus vite et il faut se faire à l’idée que chaque semaine on sera de corvée… De cette affaire de tonte, j’en ai aussi causé à mon vieux Biarrot, qui m’a donné un éclairage inattendu : « Bé moi, la pelouse, je compare ça aux femmes. Quand tu commences à leur donner de l’argent pour les rendre bien coquettes, tu peux te dire que tu vas sortir le porte-monnaie chaque semaine ! C’est sans fin ! » Evidemment, l’école de la sagesse biarrote m’a tout de suite fasciné. J’ai donc demandé à mon interlocuteur de m’en dire un peu plus sur le coût des femmes au cas où j’aurais envie d’en rendre une un peu plus « coquette » un de ces jours : « Bé moi, vous voyez, en revenant du service militaire, je me suis mis à fréquenter pendant quelque temps. Et mes économies de toute ma période militaire, envolées en quelques semaines ! Là, j’ai compris et je me suis dit que la première qui ne me prendrait pas pour un distributeur de billets, je me l’épouserais ! » Le regard amusé, la bedaine bien proéminente, les bras croisés sur sa poitrine, mon vieux Biarrot prospère et satisfait de sa sagesse a poursuivi le récit de sa philosophie de vie : « Voilà ! Et j’en ai rencontré une qui venait du fond du pays et qui avait été placée chez une famille par un curé. Une bien brave, travailleuse, honnête. Ah ! Elle n’avait pas les manières des autres, mais c’était une solide dans sa tête, une organisée. » Et de poursuivre en se callant le dos sur sa chaise et en posant les mains bien à plat sur la table : « Et je vais vous dire… une femme comme cela, eh bien elle est aussi solide dans sa tête que dans le porte-monnaie. Té, le très grand terrain que l’on avait autour de la maison, elle m’a dit de le vendre en lots. On a loti. Et depuis, c’est fini de me fatiguer au jardin. Et on a ramassé le paquet ! » Cela m’a donné à réfléchir en me disant que je n’aurais jamais dû commencer à tondre cette fichue pelouse qui va m’en demander toujours plus et qu’un bon coup de ciment ferait place nette ! Mais bon, il y a aussi le plaisir de la vie dans un joli jardin, comme il y a le plaisir d’un joli amour… J’ai donc laissé mon vieux Biarrot à ses considérations et je suis rentré à la maison pour profiter de ma coquette pelouse. Et pas loin du gazon bientôt couvert de pâquerettes, quelques arbres fruitiers se préparent aussi au bonheur de la renaissance. Bientôt ils donneront des fleurs, puis des fruits et viendra le temps des confitures… Alors, j’ai été attrapé dans ma bibliothèque Les fables de mon jardin de Georges Duhamel, car l’histoire de mon vieux Biarrot « gestionnaire » de l’amour et du jardin m’a rappelé l’histoire de l’économiste que je m’en voudrais beaucoup de ne pas partager avec vous : « Le jour où nous reçûmes la visite de l’économiste, nous faisions justement nos confitures de cassis, de groseille, de framboise. L’économiste, aussitôt, commença de m’expliquer avec toutes sortes de mots, de chiffres et de formules, que nous aimons, le plus grand tort de faire nos confitures nous-mêmes, que c’était une coutume du Moyen Âge, que, vu le prix du sucre, du feu, des pots et surtout de notre temps, nous avions tout avantage à manger les bonnes conserves qui nous viennent des usines, que la question semblait tranchée, que, bientôt, personne au monde ne commettrait plus pareille faute économique.

 - Attendez, Monsieur ! m’écriai-je. Le marchand me vendra-t-il ce que je tiens pour le meilleur et le principal ?

 - Quoi donc ? fit l’économiste.

 - Mais l’odeur, monsieur, l’odeur ! Respirez : la maison tout entière est embaumée. Comme le monde serait triste sans l’odeur des confitures ! L’économiste, à ces mots, ouvrit des yeux d’herbivore. Je commençais de m’enflammer.

- Ici, monsieur, lui dis-je, nous faisons nos confitures uniquement pour le parfum. Le reste n’a pas d’importance. Quand les confitures sont faites, eh bien ! monsieur, nous les jetons. J’ai dit cela dans un grand mouvement lyrique et pour éblouir le savant. Ce n’est pas tout à fait vrai. Nous mangeons nos confitures, en souvenir de leur parfum. » Bonne semaine à vous, excusez-moi de vous abandonner, mais il faut que j’aille tondre… Ça sent si bon une pelouse tondue.

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