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1844. L'Algérie terre d'espoir pour les migrants français...

Publié le 25/09/2011, dans Patrimoine | par La Semaine du Pays basque
1844. L'Algérie terre d'espoir pour les migrants français...

Ce qui est bien, l’été, c’est de profiter de la relative accalmie des brocantes pour exhumer des placards tous les « trésors » que l’on y a soigneusement et souvent trop rapidement rangés, pendant l’hiver. Des retours de chine sur les rotules où l’on ne s’occupe que des objets phares de la journée… poussant les autres sur des étagères où ils s’entassent jusqu’au jour lointain où vous y reprêterez attention… Me voici donc, la semaine dernière, à faire mon petit tri, distrait mollement par une radio qui égrène les commentaires et vérités d’un journaliste savant nous expliquant les futurs thèmes primordiaux de la campagne présidentielle de l’année prochaine. Au menu : l’économie, l’emploi, l’éducation et l’émigration. Grand sujet que cette dernière, avec « la menace de Marine » à la clef… C’est alors, que totalement par hasard, tombe à mes pieds une livraison de la revue Le Magasin Pittoresque de 1844 que j’avais mis de côté, il y a des mois. A l’intérieur, un long article sur les premiers colonisateurs de l’Algérie et l’émigration des Français, au début du XIXème siècle.

De pauvres familles de volontaires…
Nous sommes donc en pleine Monarchie de Juillet (1830-1848)… Avant d’en venir à l’Algérie, l’auteur attaque par le triste spectacle qu’il déplore, au Havre, à la vue du grand nombre de « pauvres familles qui s’exilent volontairement, chaque année, vers les Amériques ». Selon lui, jusqu’à soixante mille individus qui s’embarquent dans l’espoir de trouver un meilleur sort dans des terres lointaines ! Il prévient : « Presque toujours, la misère les suit et traverse avec eux les mers, pour les opprimer plus cruellement sur le sol étranger à la Patrie. » Les habitants du Havre décrivent des hommes de tous âges, des femmes, des enfants campant en bord de mer, « fatigués par un voyage parfois déjà fort long, hâves, soucieux, mal vêtus, raccommodant leurs haillons et préparant leurs aliments sous le ciel, dans l’attente d’un départ dont on ne peut que prédire les déplorables conséquences ». Et l’auteur renchérit, décrivant un véritable scandale, d’une émigration anarchique qu’aucune administration ne suit : « Demandez quel est annuellement le nombre approximatif de migrants : aucun officiel ne pourra vous le dire ! » Ils arrivent de toutes les régions, notamment du Nord, de l’Alsace ou de la Franche-Comté, même des provinces rhénanes et de la Suisse.

Vers un sort bien précaire
Problème, nous dit le texte, tous ces migrants sont voués à un sort bien précaire Outre Atlantique. Il dénonce aussi les intérêts commerciaux qui ont mis en place une machine à rêver debout pour ces tristes hères : « Les émigrations en Amériques ont lieu, le plus souvent, sous l’influence de spéculations privées. Ce n’est point une autorité prudente, paternelle [allusion à Louis-Philippe], éclairée, qui provoque ces déterminations si graves. Les compagnies possèdent des terres incultes et ont des courtiers qui se chargent de trouver des travailleurs aux propriétaires. Ces agents courent les campagnes de France d’Allemagne et de Suisses et usent trop souvent des moyens qui étaient jadis utilisés par les racoleurs pour recruter de futurs migrants. » La recette ne change pas, on promet la lune à ceux qui veulent bien y croire. Les migrants pensent qu’il leur sera attribué des concessions de terre qu’ils ne verront jamais… Ceux qui savent, lisent pour les autres des dépliants où sont vantés le travail facile, des salaires mirobolants, le bonheur au loin… Une nouvelle vie dans des pays neufs… « Qui, se demande-t-on, les a persuadé d’abandonner le village où ils sont nés, de renoncer à leurs traditions, à leurs habitudes, aux mœurs, aux lois, à la protection de leur pays ? Comme le retour sera le plus souvent impossible, les maladies, la faim, les déciment ; ils se dispersent au hasard, et leur détresse, leur mort ignorées ne servent même pas de leçon aux lieux qu’ils ont quitté et où leur famille continue à espérer un monde meilleur. On se ferait difficilement une idée de tous ce que des hommes, femmes et enfants, enlevés à la vie des champs, auront à souffrir dans les entreponts des paquebots, pendant une traversée de 40 ou 50 jours, entassés, privés d’air, mal nourris, et dans un état de propreté déplorable. » Décidément, l’Amérique ne plait pas au Magasin Pittoresque qui assure que les migrants, dans leur grande majorité sont réduits à la domesticité quand ils ne sont contraint à implorer la charité publique, dans un pays « où ne les recommande point la confraternité du citoyen, et où on est en droit, au moins de leur reprocher leur imprudence. » L’époque juge durement : « Les consuls, les sociétés de bienfaisance, s’il s’en trouve à portée de leurs prières, sont loin d’avoir à leur disposition des moyens suffisants pour soulager tant d’infortune. Quelle mère ne regrette alors même la mendicité sur une grande route de France ? »

L’Algérie terre d’asile…
Ce n’est qu’au milieu de l’article que l’on comprend où l’auteur veut en venir. En effet, après cette charge en règle contre la fuite vers les Amériques, voici que le ton se radoucit lorsqu’il nous présente tous les avantages d’une émigration vers l’Algérie nouvellement conquise (accord de soumission du régent ottoman d’Alger, Hussein Bey, le 5juillet 1830). « Les familles qui s’offrent à coopérer par leur travail, à la colonisation d’Alger ne peuvent même pas être comparées à des émigrants ; à peine peut-on dire qu’elles s’absentent de leur mère-patrie ; elles ne font que changer en quelque sorte de département. L’administration a établi des règles pour les défendre de leur propre imprévoyance ; elle les encourage et les protège. » Les familles acceptées (après demande au Ministère de la Guerre) reçoivent un permis de passage gratuit, de Marseille ou Toulon à Alger. A leur arrivée elles sont immédiatement mises en possession d’un lot à bâtir dans le village lui étant assigné, ainsi qu’environ 4 à 12 hectares de terres cultivables selon les ressources des colons et le nombre de membres de sa famille. Des abris provisoires – des baraques réglementaires en bois – sont mis à disposition par l’administration, le temps d’élever les constructions nouvelles ; de conséquents secours en matériaux à bâtir – de 3 à 600 francs – peuvent aider ceux étant le plus en difficulté pécuniairement ; pour la culture des terres, il peut être prêté temporairement des bêtes de labour ; des semences et des instruments aratoires sont mis à disposition, tantôt à titre gratuit, tantôt à charge de remboursements, toujours selon les moyens des migrants… Derniers arguments, mais de poids : l’argent et la sécurité. « Jusqu’à présent, les terres de toute nature appartenant aux Européens ou exploitées par eux, en Algérie, ont toujours été exemptes de tout impôt foncier » et « Les villages, placés dans des localités salubres et pourvues d’eau, sont entourés d’enceintes défensives, protégées par des brigades de gendarmerie. Les habitants sont armés et organisés en milice, les centres de colonisation étant reliés entre eux par des chemins assurant l’arrivés des matériaux ou médicaments et permettant des échanges de toutes nature. »

Plutôt l’Algérie que le Nouveau Monde
Alors, oui, pour le Magasin Pittoresque, l’Algérie a bien des attraits, et surtout celui d’être en France, malgré la persistance des combats consécutifs à la conquête progressive du pays (il faut attendre 1843 pour neutraliser Abd-El-Kader). Il déborde même d’optimiste pour les élus à ce nouveau paradis sur terre : « Nos dernières victoires consolident glorieusement notre conquête. Chaque jour, les dangers pouvant troubler les colons dans leurs travaux pacifiques sont moins redoutables. Ne sont-ils pas de nature plutôt à retremper le courage de leurs fiers défenseurs et peuvent-ils être mis en parallèle avec ces ennemis insaisissables qui attendent les migrants dans le Nouveau-Monde, la misère, l’abandon, l’exil ? »
Si forts de ces conseils, de nombreux militaires deviennent eux-mêmes des colons et d’importantes vagues de pionniers se succèdent, ils seront rapidement rejoint par une tout autre population. L’Algérie va devenir terre de déportation comme l’a pu l’être aussi la Nouvelle-Calédonie. Après la carotte le bâton. De nombreuses migrations politiques sont prononcées, particulièrement après la Révolution de 1848 et le coup d’Etat de Napoléon III, en 1851. Beaucoup de ceux qui osent s’opposer au pouvoir en place prennent la direction de l’Algérie… C’est aussi à cette époque que la propagande en faveur de l’émigration algérienne se développe considérablement. Le peuplement de ces nouvelles terres devient une affaire d’Etat. En 1836, 14 500 migrants européens sont recensés, alors qu’ils sont déjà 160 000, en 1856 : qu’ils seront 217 000, en 1866 ! La création d’un nouveau pays est en marche… Les migrants seront chez eux, en France, pour une petite centaine d’années…

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