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Auto-dissolution de Batasuna : "Notre positionnement était devenu un frein"

Publié le 09/01/2013, dans Politique | par Pierre Lasterra
Auto-dissolution de Batasuna :

Annoncée le 3 janvier dans une conférence de presse donnée à Bayonne, l'autodissolution du parti indépendantiste Batasuna (interdit en Espagne depuis 2003 mais autorisé en France) a surpris tout le monde. Entre contribution au “processus de paix” et nouvelle séquence stratégique pour la gauche abertzale, Jean-Claude Aguerre, porte-parole de feu Batasuna, répond à nos questions.


Où et quand la décision de la dissolution a été prise ?

« Notre réflexion a démarré au lendemain du processus de Loyola [2006-2007, NDLR], où l'on a fait le constat de son échec et où l'on s'est remis en question par rapport à l'avenir. Il y a eu ensuite un texte fondateur – Zutik Euskal Herria – qui reprend tous nos fondamentaux et nos manières de travailler. C'est là qu'on a vu que les voies politiques et démocratiques sont beaucoup plus puissantes. La conférence d'Aiete [octobre 2011, NDLR] nous a donné raison ; d'autre part ETA a fait sa démarche avec le dépôt des armes. C'est un ensemble où chacun amène sa contribution au débat, au processus. On se place dans la trajectoire historique de la gauche abertzale ces cinquante dernières années. Elle a toujours voulu trouver les meilleures voies pour faire avancer ses projets d'indépendance et de socialisme pour le Pays Basque. Cela prend des formes différentes, selon l'époque, la lecture et l'analyse qu'on fait de la situation politique en Pays Basque. C'est cela qui nous intéresse : comment notre projet peut avancer et sous quelle forme. »

A-t-elle fait l'objet d'un vote ?

« Oui, mais aussi de réunions locales, de retours, de corrections. C'est un processus qui a été très fort, très profond dans la gauche abertzale. Notre histoire est marquée par des textes, des moments de réflexion et aussi de grosses tentatives - Algérie, Lizarra-Garazi, Loyola, Aiete – après lesquelles on se remet en question. Aujourd'hui, c'est un des plus gros résultats : il faut prendre la voie démocratique, créer les conditions d'une accumulation de forces. »

Vous dites “prendre la voie démocratique”. Cela veut dire que ce n'était donc pas le cas jusqu'ici ?

« C'est une redirection. On l'était auparavant aussi, mais on veut insister sur ce chemin-là, qui est devenu la priorité. On a revu notre travail, mais ce n'est pas pour autant qu'on le déconsidère. Aujourd'hui, la situation est plus propice pour avancer, et par ce mode-là on pourra créer des conditions qui nous seront plus favorables en termes d'efficacité et d'aboutissement de nos idées. Jusqu'à présent on n'évacuait pas la voie démocratique, mais on pensait qu'on y arriverait plus facilement par d'autres moyens. Aujourd'hui nous voyons que nous devons y arriver par ce biais-là. »

Les “autres moyens”, c'était la lutte armée ?

« La lutte institutionnelle. On était plus dans un positionnement de résistance, d'opposition frontale. Notre confrontation est toujours claire sur la négation du Pays Basque ou la position des états, mais on va aller chercher une accumulation de forces, avec les autres forces vives du Pays Basque. Et c'est vrai que notre positionnement était devenu un frein. Nous pouvons aujourd'hui ouvrir de nouveaux champs, comme on le voit dans l'accord stratégique avec Abertzaleen Batasuna (AB), Aralar, ANV... Les candidatures électorales qu'on a portées avec Euskal Herria Bai au Pays Basque nord sont pour nous une grande réussite et sont porteuse d'un avenir prometteur. »

Le cessez-le-feu définitif d'ETA (octobre 2010) ; les bons résultats de la gauche abertzale aux élections d'Euskadi (octobre 2012) ; l'arrestation d'Aurore Martin (novembre 2012) ; la proposition de négociation d'ETA en vue de sa dissolution (novembre 2012) sont-ils autant d'événements qui ont précipité votre auto-dissolution ?

« Tous ces éléments montrent bien qu'on a fait un bon choix, et que c'est une voie qui est fructueuse. La conférence d'Aiete est pour nous primordiale. La qualité des intervenants et la présence de Kofi Annan a donné à cette conférence des garanties exceptionnelles. Et cela montre bien l'enjeu et les défis que le Pays Basque a à relever. Au niveau européen, on se situe au niveau des débats de l'Ecosse ou de la Catalogne, et qui peuvent aboutir à de nouveaux cadres, à de nouvelles réalités politiques au niveau européen. Dans le chemin de la résolution démocratique du conflit, on voit qu'il y a un grand espace et qu'on est sur le bon chemin. »

Aujourd'hui vers quelle formation politique peut se tourner un membre de Batasuna ?

« Au sud comme au nord, avec EH Bildu et EH Bai, on a des coalitions composées de plusieurs partenaires, à commencer par Aralar et AB qui en sont les premiers récepteurs. Au moment des échéances électorales, on s'organise et on trouve une méthode. Ce à quoi nous devons réfléchir, c'est quel est l'outil, quelle est notre référence politique propre. Pour cela, on a plus de cinquante ans d'expérience, on saura donc trouver une issue, une formule pour pouvoir continuer. »

Votre autodissolution va-t-elle déboucher sur la création d'une nouveau parti ?

« Notre activité politique a toujours été sincère, et elle continue à l'être. On est toujours dans une totale implication et un total dévouement pour notre projet. On militait hier, on milite aujourd'hui et on militera demain. La situation n'est pas aboutie, même si on est sur le chemin de la victoire. On va continuer à lutter pour la reconnaissance du Pays Basque et contre le capitalisme qui étrangle la société basque. On réfléchit donc bien sûr à un outil pour l'avenir (…) En 2001 quand on a créé Batasuna, on n'a pas été compris par une partie de la gauche abertzale. Cela a créé une scission, mais c'est bien parce qu'on avait des divergences de fond. Ce n'était pas un caprice. En 2013, notre lecture est intacte : le mouvement national est primordial pour faire avancer notre stratégie. On considère qu'on est sur la bonne voie, et on n'a jamais évacué l'hypothèse d'un travail en commun. »

Avancer avec le double idéal de l'indépendance et de l'instauration du socialisme, n'est-ce pas se compliquer la tâche ? Ne gagneriez-vous pas en efficacité à déconnecter ces deux questions ?

« L'un va avec l'autre. On ne conçoit pas l'épanouissement d'un peuple en restant figé dans le capitalisme qui étouffe toute liberté. On vit en ce moment les pires moments de ce système qui écrase tout, et c'est là qu'on voit la pertinence de notre projet politique. Il n'y aura de reconnaissance du Pays Basque que si l'on rend la dignité à la société basque. On ne peut pas faire une indépendance en étouffant le peuple. Cette théorisation a été maintes fois reprise : on libère le peuple, et l'homme en même temps. Le système actuel, le capitalisme prôné en Europe, est là pour étouffer la voix des peuples. C'est le cachot des peuples. On ne cherche pas l'indépendance du Pays Basque pour recopier les modèles existants, à la sauce européenne actuelle. Les peuples ne pourraient pas en sortir gagnants. Et si on veut créer un Pays Basque, cela ne pourra se faire qu'avec le peuple. L'indépendance ira de pair avec son émancipation. »

Considérez-vous que le processus de paix est bien engagé ?

« Il manque certaines choses. La situation des prisonniers n'a pas évolué : les personnes malades et aux trois-quarts libérables sont toujours incarcérées. Ces logiques sont encore en vigueur, et c'est le mauvais côté du débat. D'un autre côté, la conférence d'Aiete ou le Forum pour la paix de Bayonne sont des manifestations qui interpellent directement les états. S'il y a la volonté des états français et espagnol – ce qui n'est apparemment pas le cas pour l'instant - ce processus peut aboutir demain.»

On a souvent présenté Batasuna comme la vitrine politique d'ETA. La suite logique est-elle selon vous qu'ETA se désarme, et livre son arsenal ?

« ETA est assez grand et sait ce qu'il doit faire, je trouve donc cette question hors-sujet ».

Mots clés : Abertzale, Batasuna, Bayonne, Eta, Paysbasque
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